Toilettes au fond de la cour !

L’œil de la lunette en PVC des WC me regarde.

Ça me revient…

« Mémé, je veux allez aux cabinets ! Tu m’accompagnes ? » Ici, les WC sont au fond de la cour, devant le poulailler, dans un cabanon en bois. Je la tiens par la main bien fort, j’ai peur. L’allée pénètre une forêt d’orties blanches géantes. Gare aux écarts, l’ortie a la caresse urticante. Pas manqué, ça me gratte déjà les mollets ! Les toilettes se révèlent, sobres, drapées de lierre, le chapeau pointu. « Tu restes là, Mémé ! Tu n’pars pas ! »  Je ne lambinerais pas sur le trône avec un Pif à lire comme à mon habitude.

Les gonds couinent. Je pénètre dans le royaume des mouches, des araignées et des petites bêtes qui courent partout. La faucheuse guette, je souffle sur sa toile. Je l’embête. Fâchée, elle se secoue comme une cinglée, prête à tout déchirer, à tout massacrer, enfin elle se calme. L’assise en bois transpire de sciure qui par tous ses pores s’envolent, brouillard suffocant. Je soulève le couvercle en pin massif. C’est lourd ! Pourquoi faut-il qu’à chaque fois je regarde au fond du trou ? Les moucherons importunés remontent et le fumet avec. Je m’assure qu’un serpent ne viendrait pas me mordre les fesses. Pépé l’a dit, ça arrive ! Alors, je lance des « pschttt, pschttt », tape du pied. Personne ne grouille en bas. La voie est libre ! Je m’installe dans un silence de recueillement. « Mémé t’es là ? » Pas un mot, une suée m’envahit. « Mémé, t’es pas partie ? » « Non », soupire-t-elle.

Derrière moi, quelque chose farfouille, quelqu’un grattouille, puis frappe. Toc, toc, toc ! Mon cœur tambourine. L’animal glousse. Ouf ! Ce n’est qu’une poule qui vérote.

Aujourd’hui, ni gel, ni pluie ; une chance. L’endroit n’est pas chauffé, le vent s’y engouffre volontiers. Dans la pénombre, un rayon de soleil plonge du toit et frappe le sol. Des milliards d’étoiles microscopiques dansent dans son sillage. La rêverie s’installe, je m’apaise. Ce réduis abrite tout un univers. Une colonie de fourmis, en rang serré, défile sur le plancher, occupée à déménager ses œufs à bout de mandibules. Je songe à ce capricorne, dans son costume gris azur, avec ses élégantes antennes, qui s’attardait près d’un madrier à peine équarrie. A-t-il trouvé un logis ? Là-haut, un lézard à qui le chat a croqué la queue, sort de sa cachette, il file se réchauffer.

Sans crier gare, quelque chose se détache du plafond, atterrit dans mes cheveux. Je sursaute. C’est quoi ça ? Un amalgame de feuilles séchées, agrégées à du bois rongé par des années d’intempéries et de canicule que confectionne mon abri sous sa tôle en acier ondulé. La cabane n’aime pas les intrus ; elle se défend. Je m’époussette. Je dois conclure au plus vite l’affaire.

Avec angoisse, je constate, comme à chaque fois, qu’au bout d’un fil de fer en forme de crochet, ce qui fut les nouvelles palpitantes d’un jour, ne sont que de simples carrés de papier soigneusement déchirés.

« Ça y est Mémé, j’ai fini ! »

capricorne-insecte
Un capricorne

87 réflexions sur « Toilettes au fond de la cour ! »

  1. Délicieux à la lecture, mais terrifiant dans le réel, surtout pour les enfants! (mon grand-père y disparaissait souvent pour aller « chuquer » un petit vin blanc qu’il fabriquait, à l’abri des horions de son épouse. Pas de mémé derrière la porte, alors!)

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  2. Une belle lecture qui appelle les souvenirs qui surgissent en vrac! Je crois que beaucoup d’entre nous avons vécu des répliques de votre délicieuse histoire que j’ai trouvé pleine de fraîcheur, de tendresse et très drôle aussi. Merci pour ces magnifiques flashs si lointains que vous faîtes revivre avec beaucoup de talent et de sensibilité.

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  3. Super bien rédigé. On y est, sans vouloir y être en vrai. Je n’ai pas connu ces toilettes au fond de la cour, quoi que peut être une fois en vacances, enfant, à la campagne. Mais mes grands-parents me racontaient souvent la chance que j’avais à utiliser des lieux d’aisance où le froid et la glace, en hiver, et les odeurs pestilentielles, l’été, n’entravaient pas la bonne marche de la nature 😀
    Cela dit, la peur qu’un serpent me morde les fesses est un vestiges bien ancré de mes souvenirs…

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  4. Généralement les toilettes au fond du jardin s’accompagne d’un pot de chambre, à quand un récit sur ce dernier ?

    « Dans la pénombre, un rayon de soleil plonge du toit et frappe le sol. Des milliards d’étoiles microscopiques dansent dans son sillage. »

    Très beau

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    1. Merci Vincent. J’avais oublié le pot (pour ma part je me retenais toute la nuit) Il est vrai que courir dans le noir jusqu’aux wc s’apparentait à un exercice de style selon la saison sans oublier la lampe qui risquait de lâcher à tout moment. Alors les soirs d’hiver, avant le bouclage des volets, à la lueur de la porte de la cuisine je faisais comme pépé, le long d’un tronc de chêne.

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  5. Quel style pour décrire une situation si particulière!
    Heureusement, la ‘cabane au fond du jardin’ a bien évolué, et c’est mieux comme ça.
    Mais il aurait été dommage de passer à côté de ce charmant souvenir, plein de crainte, d’angoisse, mais si délicieusement narré!
    Merci!

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  6. Merci Christophe pour ce témoignage… une tranche de MA vie! Avec le recul je constate que même avec le peu d’hygiène dont nous disposions nous avons survécu. Une réflexion de Gavroche m’interpelle: en voyant le rouleau de PQ de ta photo, je me souviens que chez nous aussi, dans les années 40 (!) on se torchait avec des coupons de journaux. Tu parle d’une douce caresse!

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  7. bonjour Christophe,
    j’ai souvenir de ces toilettes tout au fond de la cour de ferme chez une grande tante ou était ce une arrière grande tante ? juste à côté de la porcherie, et en passant entre beaucoup de poules également … le souvenir en est inoubliable ….
    bel automne à toi !

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  8. Bonsoir, j’ai adoré la lecture de cette belle tranche d’enfance, j’ai connu pas dans mon enfance mais quand je me suis mariée, à la campagne les « toilettes » c’était ça, et bien que j’avais 18 ans, j’y allais la peur au ventre car pas de « mémé » pour m’accompagner. Bonne soirée Amicalement MTH

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  9. j’ai à peu près les mêmes dans mon lieu de campagne que j’ai fait faire il y a deux ans. Chez nous ce n’était pas si bien agencé que les vôtres. C’était carrément le trou de l’ancien puits. J’avais toujours peur de faire un faux pas et d’y tombé dedans. Bon résumé, car toute la description de ces moments intime est bien dite dans ce récit.

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    1. Merci. J’avoue que la largeur d’un ancien puits et sa profondeur me paraissent impressionnantes pour y faire ses besoins. Qu’en je pense que mes grand-parents hurlaient de peur dés que j’approchais de la margelle pour crier au fond du puits ou y jeter des cailloux, alors pour y poser les fesses je n’ose imaginer leur réaction. Parfois, avec mon frère nous dansions sur la planche vermoulue qui bouchait l’entrée, pour savoir lequel avait le plus de courage.

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  10. Après mon commentaire 1 « je sais tout », voici le commentaire 2 « je me souviens ». ; )
    Oui, je me souviens ces toilettes dans le jardin de mes grand-mères, toilettes qui comportaient… deux trous !
    Le grand trou et le petit trou… A chaque anatomie son trou ou plutôt à chaque âge.
    Nous, les mômes, attendions avec impatience en même temps qu’inquiétude, l’autorisation de passer du petit au grand.
    C’était une espèce de rite initiatique ?

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  11. Excellent.
    Chez mon grand-père à Rennes, dans les années 60, les « ouaters » étaient aussi au fond du jardin. 🙂
    D’ailleurs en ’45, à peine la moitié des logements Français avaient l’eau courante… (Et maintenant on se plaint tout le temps…)
    Bonne semaine.

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  12. Ohhhh que de souvenirs tu as fait remonter à la surface !!! Dans mon ancien chez moi à Nîmes, nous avions nous aussi le « cagadou » au fond du jardin et c’est là que nous allions quand la maison se remplissait de monde et / ou lorsque, enfants, nous jouions dans le jardin.
    Parmi moult anecdotes, une me revient à l’esprit.
    Je devais avoir 7 ou 8 ans pas plus et Je jouais tellement que je n’avais pas le temps de monter à la maison… L’envie de faire pipi se faisant de plus en plus pressante, je suis partie ventre à terre au cagadou et là je baisse la culotte, je commence à faire pipi lorsque soudain quelque chose me chatouille mon intimité :(, je pousse un hurlement et me relève d’un bon pendant qu’en même temps un chat sort du trou !!! :D. La cause de cet intrusion dans mon domaine, c’est que ma mère avait nettoyé du poisson et était aller jeter les déchets dans le trou pour qu’ils soient reconvertis … Mais le chat avait dî trouver sûrement l’odeur à son goût et moi je suis venue le déranger pendant sa collation 😛 …
    A partir de ce jour là, je n’ai plus jamais été au cagadou sans regarder si le trou n’était pas habité ^^

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  13. J’ai bien connu ces « petites cabanes au fond du jardin » et le papier journal découpé en carré pour aller avec. LOL!
    Heureusement côté hygiène on a fait des progrès mais si je n’aimais guère l’intérieur, j’aimais beaucoup le petit coeur que mon grand père avait découpé dans la porte.

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  14. Bonjour,
    Une excellente description de ce qui était un moment fort dans notre enfance. Un vécu, une épreuve partagée qui laisse le sourire aux lèvres aujourd’hui.
    Le plus difficile pour moi était de passer sur les planches, qui en fonction de la saison, travaillaient en s’écartant un peu l’une de l’autre, laissant entrevoir les profondeurs sous mes pieds prêtes à m’engloutir. Par contre, j’ai la nostalgie de ce petit coin du fond du jardin car le désir d’avoir la vue qui m’était offerte par beau temps, une fois la porte grande ouverte, ne m’a jamais quitté. Aujourd’hui, les toilettes idéales pour moi, seraient celles qui m’offriraient une vue et une liberté similaires.
    Merci pour ce retour au fond de la cour.
    Val

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  15. il est peut-être plus facile, moins trivial d’être un homme pour parler de ces « choses-là » ! 😀 Je vais faire fi de toute pudeur pour évoquer ces vacances sur l’île d’Oléron, il y a 42 ans. Mon fils aîné n’avait pas encore 3 ans, notre nièce avait 5 ans, nous étions un jeune couple très fier d’avoir loué cette maisonnette au milieu d’un domaine viticole. Nos loueurs avaient juste oublié de nous dire que les toilettes étaient à l’extérieur. J’ai retrouvé avec terreur le même style de WC que j’avais connu enfant. Ta description de cette cabane au fond du jardin (non, je ne chante pas Cabrel) est à l’identique de celle que j’ai fréquentée très brièvement sur l’île d’Oléron.
    J’avoue avoir voulu passer la première, imaginant peut-être que j’étais différente des autres membres de la famille…ni bruits ni odeurs…aseptisée quoi !.. 😀 Mon mari, moins bégueule, y lisait le journal et moi…j’ai fini par squatter le pot qui ne devait servir qu’aux enfants. Oh quand j’y pense ! 😀 Mais quelle horreur !
    Et quelle façon de faire connaissance tous les deux !
    Nous n’aurons plus beaucoup de choses à cacher ! 😀
    Merci d’être passé chez moi.

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  16. chez nous on appelle ça des bécosses
    qui est la francisation du mot anglais Backhouse qui était des wc extérieures dans un petite maison en bois
    chez nous elle était près de la maison mais quand elle était pleine on enterrait les excréments sur place et on la déplaçait un peu
    à la fin elle était assez éloignée et pour les odeurs et les insectes on mettait un peu de chaux sur les excréments au besoin

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  17. Merci de me rappeler ce que j’ai connu aussi. J’ai eu le privilège d’en fréquenter deux, un dans chacune des maisons de mes grands-parents respectifs, sur l’île de Groix. Deux ambiances, deux couleurs différentes (l’une était bleu et avait l’ambiance des piscines, l’autre se confondait avec la nature et a dans mes souvenirs des couleurs jaunes).. Depuis, j’ai gardé ce goût du voyage dans la cabane 😉

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