Une gorgée de bourru sucré picote ma langue.
Ça me revient…
L’aube dresse ses nappes de brume, répand sa rosée sur l’herbe fanée. L’air est vif. La campagne se réveille. Un moteur diesel « teufteufe ». Mon grand-père, au volant de son Mac Cormick, nous charrie jusqu’à son champ de vigne. Aujourd’hui, ce sont les vendanges ! Je suis assis sur le rebord du plateau en bois vermoulu de la vieille remorque. Mes jambes pendantes bringuebalent aux moindres chaos dans les ornières du chemin. Les baquets tressautent, les basses grondent, mon cœur s’égaille. Toute la famille est joyeuse. Une manœuvre périlleuse, un recul minutieux. La vigne nous accueille dans ses habits verts et jaunes. On aperçoit les grappes de raisins mûrs, d’un bleu profond, duveteux. Papi coupe le contact et crie : « au travail ! » Je saute du plateau, les mollets flottent dans mes bottes en caoutchouc jaune. Maman, dans son tablier à carreaux vichy rouge, me tend une paire de ciseaux ; je suis trop petit pour obtenir un sécateur. La cueillette commence. Je traîne mon panier en plastique au reflet bleu acier ; il est lourd. Mon frère m’assiste. Très vite, une moustache bordeaux décore nos lèvres. Les genoux s’égratignent sur la terre encore sèche de cet été. Qu’importe ! La ferveur reste intacte. On rapporte notre récolte. Papi la déverse dans les basses qui se remplissent très vite. La vigne est généreuse. Les fruits sont gorgés de jus sucré. Notre grand-père est fier de ses cépages : baco, othello, 55000, 56000 et caché parmi les rangs quelques pieds prohibés de noah à la mauvaise réputation ; son raisin noir donne un vin qui rend fou ! Depuis le temps qu’il en consomme, je ne l’ai jamais vu avec un entonnoir sur la tête.
Au milieu d’un sillon, un épouvantail, surnommé Binu, les bras en croix comme un Jésus, nous épie engoncé dans son bleu de chauffe, coiffé d’une casquette éculée. Le bonhomme à la panse de paille rebondie n’effraie que les enfants. Mon frère et moi lui jetons des cailloux, Binu ne répond pas, nous sommes rassurés. Nous pouvons continuer.
Les nuages s’amoncèlent et zèbrent l’azur de filaments blancs, le soleil brille mais reste pâle. Il fait bon, il fait faim, il est midi. Nous déjeunons à la ferme. À table, les yeux de Papi pétillent, il nous raconte la fois où sa jument assoiffée durant les vendanges avait bu le jus de raisin stocké dans un abreuvoir faute de barriques ; il rit aux éclats en se remémorant l’ivresse de la pauvre bête et son allure chancelante. Mamie nous sert sa tarte aux raisins, tout pleins de pépins. C’est acide et ça craque sous les dents, mais j’en reprends.
Papi décide, comme chaque année, de laisser cuver le jus de raisin pendant trois jours, pour qu’il se gorge de tanin. C’est le secret d’un vin qui tache ! Ensuite, il le passera dans le pressoir. Mais déjà, ce moût bouillonne et ses vapeurs âcres et âpres sautent à la gorge. Dans les prochains jours, il goûtera l’évolution du nectar, sa montée en alcool. Bientôt, le vin nouveau sera soigneusement entreposé en fûts dans la cave, où les hommes se rassembleront avec leur verre strié de dépôt rouge, juste après leur partie de palets.
Pour l’heure, la récolte se termine. Les grives et les passereaux s’attardent sur les grains abandonnés. Le ciel s’agite, la vigne frissonne, les feuilles s’étiolent. Le crépuscule embrase le vignoble. Je suis las, moulu, nous quittons la campagne silencieuse. L’ombre de Binu nous salue. Demain, il quittera ses oripeaux, avant regagner le grenier où il hibernera jusqu’à la saison prochaine.
Magnifique flash back!
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Merci !
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Ah, les vendanges, quels souvenirs. Merci !
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Merci à toi. Ce fût un plaisir que de partager cet instant de nostalgie.
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Lu et approuvé par le Comité de Promotion des Produits du Terroir
Avec l’agrément du collectif « Cultures et Culture »
Et les félicitations du jury !
🍷🍾🏆🥇
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Merci.
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Saint Binu, priez pour nous, pauvres (mais gais) buveurs !
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quel joli souvenir, un de plus…….. Je fais les vendanges depuis trois ou quatre ans Mais la remorque est un Massey Ferguson et la récolte part directement à la Coopérative………… mais tes photos me parlent d’autant que je participe fin octobre à une expo photos sur le thème de La Vigne !!! c’est d’actualité 😀
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Nostalgie ! Chez moi ( Ardennes ) , il n’était pas question de vendange ……Mais mes grand parents maternels tenaient une ferme , et j’aimais partir avec mon grand-père sur le tracteur ( il me tenait sur ses genoux pour que je ne tombe point lors des secousses dues aux ornières du chemin ou aux » traces » de labours dans les champs .) J’aimais l’accompagner lors du rassemblement des vaches pour la traite : Même qu’il m’envoyait du lait chaud directement du pis à ma bouche ouverte !
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Les vendanges ne font pas parties de mes souvenirs, pas de vignoble en Picardie enfin pas de mon côté car il y en a un peu près de la champagne.
Mes souvenirs ce sont les pommes de terre, que la terre était basse et depuis une semaine je vois passer devant la maison les camions chargés jusqu’à la gueule de betteraves.
La sucrerie pas très loin de chez moi a fermé comme bien d’autres.
Il faut aller loin maintenant pour les amener pour en faire du sucre ou de l’alcool.
J’aimais bien l’odeur de la sucrerie en marche, ça ressemblait à celle des betteraves rouges que ma mère faisait cuire.
Bon dimanche très pluvieux et venteux ici.
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Merci.Ton souvenir est touchant. La vigne de mon grand-père avec le remembrement a disparu au détriment du maïs et du colza a perte de vu.
Bonne semaine, le temps s’éclaircit.
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Bonjour, comme cela me parle, mais pour moi bien sûr ce sont des souvenirs mais comme on vit encore sur l’exploitation, je vois au fil du temps les vendanges qui changent, ce ne sont plus les vendanges d’antan. Bonne fin de journée MTH
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Bonjour, sur ton blog tu as de jolies photos de vendanges (contemporaines). Les temps changent effectivement.
Je te souhaite une très belle journée. Christophe.
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Charmant article ! on s’y croirait 🙂
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Merci.
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J’aurais bien aimé voir cette jument qui a goûté au moût !
J’aime quand il est encore sucré mais maintenant il commence déja à grésiller !
en Alsace, aussi cela a tjrs été un plaisir mais l’an dernier un viticulteur nous a expliqué qu’ils ne peuvent plus le vendre en bouteille, cela engendre trop de taxes … quel dommage !
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Moi, aussi. En plus, elle a repris son travail sans être dégrisée. La pauvre !
Enfants, on adorait ce vin nouveau, même quand il tournait en vin (on le coupait alors avec de l’eau).
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plus du tout la même chose, quand le vin nouveau n’est plus sucré, et commence à grésiller … et cette année , il a changé très vite pourtant on nous avait dit de le garder dans le frigidaire !
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Parcequ’il n’avait pas de sulfite… heureusement.
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Il existe encore quelques endroits en Beaujolais où l’on respire un air d’antan au moment des vendanges. Chacun peut goûter le premier pressage : le paradis.
Merci
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Oui effectivement c’est un privilège car le jus de raisin perd très vite son sucre et picote. Tant que le bourru est là profitons-en. Merci.
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J’attendais un nouvel article depuis un moment, l’attente en vaut la peine … bravo et surtout continue
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Merci, je souhaite poursuivre de tout cœur. Toi aussi continue, tu fais un super travail. Bien à toi. A bientôt.
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merci !!! à bientôt !!!!!
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Très jolie note, Merci pour votre blog si émouvant et si drôle aussi parfois. Qu’il est bon de se souvenir….à bientôt !
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Merci. Vos commentaires m’encouragent. A bientôt promis !
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magnifiques souvenirs! je n’ai jamais vécu ce genre d’événements, mais on s’y croit, on s’y sent 🙂
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Merci Adrienne.
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Délicieusement, savoureusement réjouissant ! félicitations !
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Merci.
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Merci pour cette page de vie de si beaux souvenirs qui font rêver…
Native de la ville, mon encrier de souvenirs se situe moins dans un décors de campagne,
sauf pour les piqueniques annuels à la saison estivale …
Bonne continuation
Mes amitiés
Manouchka
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Comme le week-end, je restais au collège à Arbois (maintenant lycée) car je ne pouvais rentrer chez ma mère, on nous demandait de faire la cueillette du raisin, ces jours-là. Que des mal de dos à la fin de la journée. Nous mangions le midi sur place en rigolant de tout et de n’importe quoi. Après les vendanges nous avions droit à une bouteille de vin
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J’ai bien aimé lire ce joli souvenir des vendanges. On ressent la joie de vivre, le bonheur de la famille…
C’est bien écrit et on se laisse emporter dans la nostalgie de ton passé… Merci pour ce partage 😀😀 et merci pour le follow. Je suis contente de suivre ton univers. À très bientôt !
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Merci Cécile. A bientôt !
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J’ai aimer lire comme on déguste du bon vin
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Oh merci !
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Je me suis revue assise sur les caisses, cachée derrière les ceps a manger des grapes sucrées… magnifique description on s’y croirait
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Merci. Les ceps paraissaient si grands, on disparaissait derrière.
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D’où que soient les vignes, le raisineux offre de bien jolis souvenirs
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