L’art du canevas.

La pluie ruisselle sur un canevas vintage abandonné prés d’une poubelle.

Ça me revient…


Ce soir, devant la télévision, je m’installe à côté de ma tante ; elle me garde le temps de quelques jours de vacances. Le film commence, nous sommes assis confortablement sur l’énorme sofa beige en velours à grosses côtes. Elle n’a pas d’enfants, elle me gâte. À califourchon, socquettes aux pieds, je sirote une paille coincée entre les dents, une menthe à l’eau dans un verre à moutarde illustré d’un Collargol. Dans l’autre main, une chupa vanille fraise est déjà prête à fondre dans ma bouche. Elle me sourit avec son faux air de Catherine Deneuve et attrape son sac à canevas bourré à craquer d’écheveaux de toutes les couleurs à faire pâlir un arc-en-ciel. Ses yeux bleus s’illuminent, je l’observe ; ça me change du tricot de ma mère et du cliquetis métallique des aiguilles. Ses lèvres pincent et humectent la pointe de la laine. Ses longs doigts enfilent le brin dans le chas de l’imposante aiguille. Ainsi, débute le mariage du fil et de la trame. Petit à petit, le dessin s’épaissit, la toile s’anime.

Mon troisième verre de menthe enfilé, je marque une pause urinaire. Je déambule dans l’appartement, ici un Fragonard, là un Hoppner, ou encore un Manet. Tatie ne brode que des reproductions de maîtres. Elle a le fil classique.

En fin de soirée, elle s’exclame : « Voilà le ciel est fini ! » Pas uniquement un coin de bleu, le canevas complet est achevé. Un moment rare, un moment heureux. La trame à l’envers est ébouriffée de nœuds qu’il faut égaliser. Je m’approche : « Je peux ? » Sur l’endroit j’aime y laisser courir l’index entre les rangs serrés multicolores. Elle roule avec précaution son ouvrage : « Demain nous irons en acheter un autre. » Sans oublier que nous le déposerons chez l’encadreur.

Le lendemain, dans la boutique de la mercerie, elle choisit un classique du canevas, La dame à la licorne, une œuvre très grand format. Satisfaite, pleine de bonté, elle ne peut s’empêcher : « Est-ce que tu veux que je te brode un canevas ? » J’en profite. « Oh oui ! » « Alors, choisis. » Du haut de mes 7 ans, je pointe un mini portrait de Mickey Mouse. Elle s’offusque. « Enfin, ce n’est pas… beau ! Tu ne préfères pas un joli tableau. »

Mes lèvres se convulsent, Tatie résiste et m’achètera une chupa vanille fraise pour se faire pardonner. Je comprends, elle a des principes.

kit-canevas-loisirs-creatifs-vintage
Jeu d’écheveaux
Canevas-Hoppner-Enfant
Hoppner
All-focus
Mickey !

53 réflexions sur « L’art du canevas. »

  1. il y a souvent un décalage entre les taties et les enfants……… pas facile de trouver le juste équilibre ! merci de ce moment de fraîcheur. Tous ces souvenirs positifs que nous engrangeons font en effet notre trame personnelle.

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  2. J’ai connu cela, j’en ai fait quelques uns moi même, et encadré maintenant, c’est un peu passé de mode actuellement….

    Merci pour ces heureux souvenirs..
    Et surtout bonne continuation avec vos souvenirs…. J’y adhère.

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  3. Alors ça, c’est rigolo. Enfin j’ai un peu honte je vais donc être franche, je ne me souvenais plus que tu étais dans mes « contacts » et oui je m’aperçois que nous avons joué dans la même cour de récréation. Toi hier, moi aujourd’hui !
    Nostalgie !
    J’ai commencé il y a des années un canevas…il va falloir que je le finisse ! Les fils doivent être quelque part ! 🤔
    J’ai pris beaucoup de plaisir à lire ton texte. À bientôt.

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  4. J’ai grandi entouré de canevas sur les murs de ma maison – je les trouvais beaux quand j’étais petits et de plus en plus moches en grandissant ! Quand je les revois chez mes parents je trouve ces objets surannés d’un autre monde. La mode des canevas reviendra-t-elle ?

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  5. Tiens donc !!! ça a fait resurgir les miens. Ma grand-mère cousait et brodait.
    Pas de canevas chez nous, des draps de lins, de fils ou encore plus fins c’était selon le cadeau à préparer. Les bobines étaient de fils blancs fin ou sinon de coton perlés.
    J’adorai les boîtes dans lesquelles les bobines et les écheveaux étaient rangés… on aurait dit des minis tiroirs de mercerie, Chaque tiroir était un camaïeu d’une seule couleur … Que c’était beau !!!
    Ces doigts déformés par l’arthrite, elle comptait les fils pour passer l’aiguille et elle brodait ton sur ton des initiales entrelacées entourées de fleurs,
    Dans ces moments-là, j’avais deux rôles :
    – Le premier enfiler l’aiguille car elle y voyait moins bien donc c’était mon rôle d’enfiler « una hebra ».
    – L’autre je le redoutais car il ne fallait pas que je me loupe sinon ça faisait du grabuge ^^. c’était une fois la broderie finie de tirer les fils pour faire « les jours » et sans en tirer un trop haut ou trop bas …
    Lorsque c’était toute la longueur du drap, c’était fastidieux mais facile par contre lorsqu’il s’agissait d’habiller l’ouvrage brodé là c’était une autre paire de manche. Elle traçait à la craie bleue avec une règle et je devais aller d’un trait à l’autre ni plus ni moins … Ces ciseaux étaient des armes redoutables si je ne coupais pas le bon fil c’était une catastrophe ^^. J’ai détesté faire ça et je crois que ça m’a empêchée de m’y intéresser. Je ne sais pas broder et je regrette car lorsque j’ai retrouvé des mouchoirs qu’elle avait brodé au point d’ombre pour certains au point de croix, ce sont de pures merveilles pour lesquelles on a du mal à différencier l’envers de l’endroit …

    Merci pour ces deux moments. Celui que tu nous as offert et celui que tu m’as permis de retrouver.

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  6. Et maintenant, Tatie compte sur les prouesses du plus célèbre agent immobilier du petit écran (Stéphane P…) et de son équipe de décoratrices ébahies par la décoration hyper kitsch ?
    Cela offrirait, c’est sûr, carton d’audience à la chaîne de télé Emsis…

    Plus sérieusement, c’est toujours un évènement que ces voyages dans le Temps, Christophe ! Et après chaque lecture, on a aussitôt hâte de suivre d’autres récits.
    Alors, à très bientôt pour d’agréables nouvelles de la petite famille Guitton, c’est toujours un plaisir que de feuilleter ton superbe album de famille.
    A+

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  7. j’ai jeté dernièrement le canevas qui m’a occupé pendant toute ma grossesse, quand j’attendais mon fils aîné,
    une nature-morte qui trônait dans le couloir …
    elle prenait tout de même beaucoup la poussière, et faisait sourire mes enfants !

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  8. Des goûts qui divergent, des oeuvres inachevées qui finiront sur un métier à tisser histoire de ne pas sombrer dans l’oubli au fond d’un placard, et bien des années après, envie de choisir des modèle contemporains et à très grands points pour avoir la certitude d’en voir la fin et de les encadrer !! 😆

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