Fleur de Magnolia

Un magnolia en fleur dans la cour de l’école.

Parmi le vernis des feuilles des magnolias, les pétales de nacre s’ouvrent en étoile.

Ça me revient…

Ce matin à l’ombre du magnolia, nous sommes assis en tailleur.

Nous avons entre les mains les feuilles mortes du bel arbre. On les plie en deux par la nervure centrale, on tire un coup sec. Crac ! Une hélice apparaît. Un trou au centre, on y enfonce la nervure taillée en pointe. On teste, on souffle. L’hélice mouline. Vroum ! Un escadron d’écoliers s’élance dans la cour rasant les filles avec leur élastique.

Un élève du CP se rue et se suspend à la chaîne en fer, la clochette en bronze grelotte. Chacun court s’aligner devant la porte de sa salle de classe. En rang, deux par deux, en silence, les enfants s’installent sous les yeux de l’instituteur.

Aujourd’hui, dernier jour d’école de l’année, il fait chaud, le maître nous remet nos cahiers et nos travaux de ce CM1. « Allez récupérer vos dessins au panneau d’affichage ! » Je cherche mon beau dessin, il n’est plus là. Je fouille la poubelle, pas là non plus. Triste, je regagne ma place. Il nous félicite, décline le classement des élèves, congratule les trois premiers. Je maudis en secret celui qui m’a jeté mon œuvre.

Notre enseignant, si strict et si intimidant, nous donne quartier libre. C’est la fête, la récré en classe. Nous déchirons les pages encore vierges de nos cahiers de devoir, les garçons fabriquent des bombes à eau et des avions en papier, tandis que les filles se creusent la tête pour trouver des questions pour leur cocotte. Certains racontent des blagues Carambar, d’autres des devinettes au sujet des petits pois verts. Les plus studieux font un pendu au tableau noir avec l’instituteur qui en profite pour leur faire une dernière leçon de vocabulaire.

Dans cinq minutes, il sera dix-sept heures. Le maître nous ordonne de nous taire les mains sur le pupitre et de patienter. Je repense, en fixant sa tête de chéri bibi, aux  oreilles tirés et aux punitions infligés. Il enlève sa blouse grise. Sans son uniforme, il paraît différent. Sa chemise à carreaux bâille, ses bras secs et plissés révèlent son âge avancé. Son regard si souvent dur et sévère s’attendrit. Ce soir, il prendra sa retraite, on le sait, mais il ne nous dit rien.  Une dernière recommandation pour les prochaines années, être sage et respectueux. D’un geste vif, il efface les bonhommes pendus et conclut d’une belle écriture cursive à la craie blanche : « Bonnes vacances ! »

La cloche s’agite pour la dernière fois. Tous les enfants crient et se précipitent vers le portail en fer grand ouvert. Le maître m’interpelle, je reste seul tandis que la rumeur clame : « vive les vacances ! » Entre ses doigts, je découvre mon dessin. Une nature morte : une pomme, une poire et une banane dans une corbeille. Ma gorge se resserre, j’anticipe sa question. Il souhaite le garder. J’accepte, la mort dans l’âme. « Merci. Tu es un brave garçon ! » Il me sourit, m’offre un livre de la bibliothèque verte (Trois hommes dans un bateau). « Merci M’sieur. » Je rejoins les copains : « qu’est-ce qu’il te voulait l’aut’ peau de vache. » « Rien ! » fis-je en serrant les poings dans l’ombre du magnolia. Je lève les yeux. Je repense à sa remarque avant de le quitter : « quand un magnolia fleurit,  la fin de l’année scolaire est proche.« 

 

 

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La bombe à eau en papier des écoliers

 

 

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Avion en papier

 

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Cocotte en papier d’écolier
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Le fameux livre

 

 

 

38 réflexions sur « Un magnolia en fleur dans la cour de l’école. »

    1. Pas de regret un joli souvenir à partager. Un maître à part avec des méthodes d’avant guerre et un régionalisme exacerbé. Le plus sévère, craint de tous, parfois des parents. La tête sous le robinet et décollage d’oreilles, on filait droit avec lui. (Je l’ai eu en CP et CM1) Mais je dois reconnaitre qu’il m’avait à la bonne parce que je dessinais bien. Je l’estimais beaucoup, mais je ne pouvais pas l’avouer aux autres.

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  1. Ca me fait remonter plein de souvenirs.
    3 dans un bateau de Jérôme K Jérôme, il était chez ma mère ce livre, je l’ai lu et relu.
    Très beau texte plein de nostalgie, bon dimanche.

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    1. Les plus acharnés se fabriquaient plus d’une dizaine de bombe-à-eau qui recouvraient leur pupitre. A la récréation ils monopolisaient le robinet pour les remplir (par le petit trou visible sur la photo). Ensuite la bataille pouvait commencer, au retour les belligérants avait les cheveux et le tee-shirt trempés.

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  2. Très belle évocation de ce dernier jour de classe, et description touchante de cet instituteur qui nous semble ce jour-là, tellement plus humain et paternel! J’ai eu cette chance moi aussi de travailler studieusement sous la conduite d’un homme admirable qui m’a tellement appris …dans tous les domaines.
    Félicitations pour votre style et merci pour ce partage

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  3. Très joli souvenir qui me ramène aux miens à cette même période.
    J’étais toujours un peu triste le dernier jour de classe car s’était la fin de quelque chose.
    J’aimais aller à l’école, même si je n’étais pas une élève assidue dans les études :).
    As-tu eu l’occasion de revoir ce maître plus tard ? J’ai eu l’occasion de revoir une vingtaine d’année plus tard un maître que j’avais eu en CE2, un clone du tien ^^. J’ai été surprise car je le voyais immense et en fait il était plutôt petit

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